dimanche 3 avril 2016

Rêve-toi et marche !



Le Voyageur était donc sur la voie du Tambour. C'était pour lui une surprise et un émerveillement sans cesse renouvelés. De cette voie qui lui avait déjà appris et montré tant de choses, il se demandait comment l'incarner, la faire vivre, au fil des jours qui passent. L'idée d'imaginer que ces deux mondes seraient deux choses distinctes venait heurter en lui quelque chose de très profond. Il ne pourrait y avoir ce monde de l'esprit et du Rêve d'un côté, et celui de la vie quotidienne ; travail, vie sociale, loisirs... de l'autre. Cela eut été comme une schizophrénie, un dédoublement, quelque chose de profondément maladif, une fuite en des chimères. Que signifieraient les paroles les plus belles si elles ne trouvaient pas à vivre et irradier là où elles sont nécessaires, c'est-à-dire, là, dans nos vies, de bric et de broc, au milieu de nos remugles, de nos tentatives maladroites, de nos errements, de nos souffrances, de nos combats, et aussi de nos joies ? Il semblait au Voyageur vital de prendre chaque chose par tous les bouts et pas simplement par ceux qui nous arrangent. Fuir un monde d'incertitudes et de folies pour un monde éthéré où tout serait beau ? Sans lui. Il avait un corps, il était en vie ; et en cela il se devait de vivre cette expérience dans toutes ses acceptions : émotionnelles, physiologiques, sexuelles, symboliques, cérébrales, spirituelles... Il n'était pas un ensemble de parties dissociées réunies par on ne sait quel hasard, ou quelle nécessité. Et quand même eut-il très peu de réponses, il savait juste ce qu'il ne voulait pas. Ce qui est déjà beaucoup.
Aussi, un matin, sur la voie du Tambour, du fin-fond de l'univers lui sont venues des paroles d'un homme à la voix vibrante et posée. Elles disaient à peu près ceci :

« Depuis si longtemps, tu as été formé et éduqué pour croire que l'entité incarnée que tu es est la stricte résultante d'un ensemble de facteurs génétiques, familiaux, sociaux, culturels... Tout juste aménageables par un libre-arbitre et une capacité à faire tes propres choix qui semblent pour beaucoup le propre de l'espèce humaine. Oh certes tu as appris, et vous le savez depuis peu, que tout l'univers est régi par les mêmes lois et les mêmes règles. Que tout ce qui existe est composé des mêmes briques élémentaires ; et par cette connaissance qui vient résonner avec une multitude d'intuitions spirituelles, tu as commencé à penser l'unité. Une nouvelle branche de la physique vient requestionner tout cela. Remettant en cause toutes tes géométries euclidiennes, tes représentations physiques... Dans cet univers, rien n'est localisé, une chose peut-être onde ou particule selon qu'on l'observe ou pas, le temps n'existe pas. Ça te trouble ça non ?
Dans ce monde qui est le tien, tu penses avoir une âme et surtout tu sais avoir une conscience. Tu sais que tu vis et il y a donc en toi un observateur. Tu as conscience de toi et du monde. Et de cette conscience tu observes l'univers et le monde.
Ce que tu as besoin d'apprendre, c'est qu'une part de ton âme et de ta conscience n'est pas produite par toi, mais qu'elle préexiste à toi. Autrement comment expliquerais-tu les millions de témoignages de personnes revenues d'état de mort clinique et pour lesquelles de toute évidence, la conscience avait survécu à leur mort physique ? Il faut que tu apprennes que la conscience est partout. Que l'univers EST conscience et que tout ce qui existe en est dépositaire d'une parcelle. L'univers te rêve tout autant que tu le rêves ! Ton âme, elle-même, est une parcelle de cette conscience. Apprends donc à la nourrir, à l'écouter, à la respecter. Penses-tu que tu ne viens au monde que pour expérimenter certains plaisirs et déplaisirs pour ensuite disparaître à jamais ? Ton corps, oui, est éphémère (et pas les atomes qui le constituent !) mais ton âme résonne et vibre bien au-delà de toi ! L'univers est une conscience dans laquelle l'information est partout comme un gigantesque filet invisible. Toute information circule en toutes les directions et dans tous les niveaux de réalité. Non, ne te braque pas : beaucoup de chercheurs en ton monde en ont maintenant, soit la certitude, soit l'intuition attendant la preuve. Et cette preuve viendra. Irréfutable.
Mais revenons à toi. Oui, tu es bien plus vaste que ce que tu n'imaginais. En fait, tu es aussi vaste que l'univers d'une certaine façon. Tu es plus que ta propre histoire. Car que tu te connectes à ce maillage d'informations et alors tu peux avoir accès à toute l'expérience possible et imaginable. Oui, je sais, il est facile de s'y perdre ! Facile de prendre des vessies pour des lanternes, de simples projections pour des vérités transcendantales ! De confondre lumières et démons intérieurs.
L'âme est ce qui vit en toi et résonne. Beaucoup de tes contemporains, et toi aussi, êtes malades de cette absence ou de cette insuffisance de reliance et de connexion avec l'univers et le vivant. Parce que cette absence éteint votre âme, cette étincelle de conscience en vous. Vous vous pensez tellement seuls et isolés alors que vous êtes entourés de présences attentionnées à n'en pas pouvoir toutes les rencontrer en une vie !
Tu te demandes comment articuler ce que tu vis « avec nous » et ta vie de tous les jours. En fait, si tu te situes là où vibre ton âme, il n'y a aucune frontière entre les mondes. Là où tu fais chanter ton âme, là sont la vie et la conscience. Fuis ce qui l'éteint et cherche ce qui la nourrit. Cela n'est pas dans les limbes, non. Cela se passe là où l'âme peut expérimenter et faire ce pour quoi elle est faite. Chaque âme est porteuse de sa « médecine » (ici au sens de : propriétés et talents autant visibles qu'invisibles de chaque chose, qui contribuent à la guérison, dans le sens de prendre soin, d'éveiller, de réunifier... Chaque personne a sa propre médecine qui peut tout aussi bien être l'art, l'expression de la beauté...(1)
Ta médecine, tu la connais : tu es Celui qui Parle. Ce sont les mots. Tu sais soigner le monde par les mots. C'est pour cela que nous communiquons avec toi par eux. Tout ce que tu fais, l'écriture, les contes, le Tarot, les rencontres d'âme, les soins sur la voie du Tambour, et même ton travail de directeur culturel, procèdent de cette médecine-là. Dans ton identité profonde, tu n'es pas « chamane », « conteur », « tarologue » ou que sais-je encore... Toutes ces catégories que vous aimez utiliser. Non. Tu es Celui qui Parle. C'est là ta médecine ; le pouvoir qui t'a été donné et que tu as su cultiver. Et par le pouvoir des mots tu participes de cette conscience dont je te parlais. Laisse faire ton âme. Elle sait. Tu es un de ceux qui ont pour mission de mettre des mots sur la voie du Tambour. Cela est précieux et ne peut se faire qu'à la condition de l'humilité. Que tu tombes dans le piège de l'ego et alors tu n'es dès lors plus porteur que de toi-même et cela ne résonnera pas.
Tout le monde peut se relier à cette grande toile universelle. Il n'y a là-dedans rien d'ésotérique. C'est une capacité de l'esprit humain, ou plutôt de la conscience dont tous êtes le dépositaire. Il faut travailler à ce que le plus grand nombre possible de personnes puisse l'expérimenter tout en étant très exigeants sur la manière de le faire.
Cette voie du Tambour avait disparu de ta civilisation. Heureusement, d'autres cultures avaient pu -contre vent et marée- la préserver. Vous devez apprendre d'eux avec le plus infini respect, mais il vous revient de créer une voie qui résonnera avec ta propre culture et les mythes qui la structurent. Les pièges sont nombreux. Et certains ne manquent pas déjà d'en faire un divertissement rémunérateur. La Vie crée, détruit, refait, réinvente sans cesse et sans relâche. C'est le principe de la vie même que de créer et de se réinventer. La voie du Tambour est là pour soigner vos âmes, pas pour les réduire à une imitation. Vous devez donc être forts et d'une humilité absolue, malins, à l’affût, et surtout vous devez être à l'écoute de cette conscience intelligente et bienveillante qui n'attend qu'une chose ; c'est que vous la sollicitiez avec une intention non altérée par vos propres démons intérieurs.
Votre cerveau est comme un extraordinaire récepteur-émetteur de télévision. Ce sur quoi il n'est pas branché, synchronisé, n'existe pas alors que pourtant tous ces programmes non lus existent. Par la voie du Tambour, votre cerveau se connecte sur le programme de la conscience universelle.
Tu rêves ton âme tout autant qu'elle ne te rêve. Et tu rêves l'univers tout autant qu'il ne te rêve. Alors rêve-toi et marche (2), pourrais-tu dire...
A bientôt »

Le Voyageur resta silencieux un bon moment. Plus tard il transcrirait ce qu'il venait d'entendre essayant de donner une forme recevable en son monde. Mais le Voyageur sentait qu'en lui avait été déposé un gemme. Comme un gemme de lumière et de conscience qui maintenant avait à trouver sa place là, ici et maintenant dans ce monde des Hommes sublime tout autant que désespérant...

(1) : Une partie des thématiques de ce texte m'a été soufflée suite à une lecture d'un livre qui vient de sortir qui s'intitule « L'approche chamanique de la thérapie » de Liliane van der Velde et Olivier Chambon aux éditions Vega. Un livre que je recommande très fortement à ceux qui s'intéressent à ces choses)


(2) : Expression entendue ce jour de la bouche de l'ami conteur Patrick Fischmann.



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